Une nouvelle politique vis-à-vis lIrak :
Si on essayait le droit international et la compassion ?
H.C. von Sponeck | Denis Halliday |
Coordonnateur humanitaire des Nations Unies pour lIrak (1998-2000) | Coordonnateur humanitaire des Nations Unies pour lIrak (1997-1998) |
Genève / Dublin, 29 mai 2001
La théorie de la courroie de transmission selon laquelle la pression économique entraîne un changement politique vient encore une fois dêtre infirmée : aucun changement de gouvernement en Irak, mais des conditions de vie extrêmement difficiles, bien pires que ce que des hauts fonctionnaires de lONU qualifiaient déjà dapocalyptiques en 1991.
À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, le plan Marshall vint à la rescousse de la population civile en Allemagne, dévastée et traumatisée par 6 années de guerre. Au terme de lOpération Tempête du Désert en 1991 qui faisait suite à une guerre de 8 ans contre lIran, les Irakien-nes furent condamnés aux sanctions les plus sévères jamais imposées à un pays par la communauté internationale. On ne saurait être surpris que les coûts humains pour une décennie déchec soient terribles.
Aujourdhui, de tous les 188 pays étudiés selon un rapport de lUNICEF publié en décembre 2000, lIrak a la distinction peu enviable dêtre le pays où le taux de mortalité infantile a le plus augmenté pendant la période 1990-99.
En tant quex-coordonnateurs humanitaires ayant vécu en Irak pendant de longues périodes et ayant eu la chance de constater les conditions sur place et dinteragir avec des dirigeants irakiens et des citoyen-nes ordinaires, nous aimerions exprimer la crainte profonde que nous inspirent les récentes propositions anglo-américaines visant une nouvelle politique internationale envers lIrak.
Ce qui est proposé comme projet international de changement se donne lallure dune autoroute internationale bien pavée menant vers le mieux-être de la population civile. La vérité brutale est que cette route est couverte de nids-de-poule. Le Département dÉtat des États-Unis et le Foreign Office britannique doivent bien être conscients quun jour ou lautre la vraie histoire sera connue, comme ce fut le cas pour le Chili et le Vietnam. Le drame cest que cela se produira trop tard pour des millions dIrakiens et dIrakiennes qui seront morts ou handicapés pour la vie à cause des politiques opportunistes et malhonnêtes des autres.
Notre première préoccupation est que la communauté internationale et les autorités irakiennes fassent tout ce quelles peuvent pour permettre le retour à une véritable normalité socio-économique et à la dignité de la vie en Irak.
Les propositions du Royaume-Uni au Conseil de sécurité de lONU, telles quenvisagées présentement, ne mèneront pas du tout à lamélioration de la condition humaine en Irak. Lallongement de la liste verte des produits qui peuvent entrer dans le pays plus librement ne représente pas la suppression des contraintes externes sur la vie civile normale! Seule la levée complète de lembargo économique peut y contribuer.
Ce qui est proposé en ce moment ne fera, en fait, que resserrer la corde autour du cou du citoyen irakien moyen. Car la véritable question est la suivante : combien cela coûte-t-il de diriger un pays, en particulier un pays handicapé par 10 années de sanctions? Doù doivent provenir les ressources pour lentretien des routes, des ports, des ponts et des voies ferrées en Irak? Et que dire de largent requis pour la fonction publique, le salaire des professeurs, lentretien des hôpitaux et des écoles?
Le régime des sanctions ne permet aucun financement pour ces besoins. Est-ce que cela ne remet pas en perspective les sommes dargent que le gouvernement irakien retire à lextérieur de la vente légale du pétrole? La nouvelle politique sympathique à la population civile qui est proposée pour lIrak essaie déliminer cette source de revenus. Si elle réussit, loin de la diminuer, elle approfondira la souffrance du peuple irakien.
Les représentants des États-Unis et du Royaume-Uni au Conseil de sécurité des Nations Unies affirment que leurs propositions sont équivalentes à la levée de la plupart, sinon de toutes, les restrictions à limportation de biens civils. Par conséquent, toute souffrance prolongée du peuple irakien sera imputable au gouvernement de Bagdad.
Cette affirmation est non seulement fausse, elle est mal intentionnée. Une contribution internationale authentique pour mettre un terme à la tragédie en Irak ne sera produira que lorsque les sanctions économiques seront levées. Le statut de société assistée ne prendra fin que lorsque le moteur économique de lIrak tournera à nouveau et que les gens auront la possibilité de se prendre en main, plutôt que dattendre le panier alimentaire mensuel.
Cela ne se produira pas sans investissements étrangers de ressources humaines et financières; cela ne produira pas non plus tant que les revenus pétroliers irakiens seront gérés de lextérieur. La soit-disant nouvelle politique de sanctions conserve les vieilles têtes de pont du régime de sanctions actuel : le compte des revenus pétroliers reste entre les mains de lONU, linvestissement étranger en Irak basé sur le marché demeure interdit et un programme ´ pétrole contre nourriture ª reste sous le contrôle de lONU.
Tout cela sent le vin dilué, toujours confiné à la même bouteille. Aucune personne sensée ne voudrait en boire et le gouvernement irakien refusera de payer pour ça. Pour le peuple irakien, dont le système immunitaire a presque disparu, le résultat sera fatal.
Cette façon détournée de traiter avec lIrak repose, en fin de compte, sur la prétention que lIrak représente toujours une menace militaire. Le lobby anti-Iraq a travaillé très fort pour suggérer une connexion irakienne à tous les actes de terrorisme importants survenus récemment. Aucun fait nest présenté. Tout cela vise à justifier une politique qui punit un pays parce quelle a failli à se débarrasser de son dirigeant.
Aujourdhui lIrak ne représente une menace militaire pour personne. Et les agences de renseignements le savent. Toutes le conjectures concernant les armes de destruction massive en Irak sont sans preuve. Si lIrak, au sommet de ses prouesses militaires dans sa guerre contre lIran, na pas pu remporter la victoire, elle ne peut représenter un danger après 10 ans de sanctions et 7 ans de désarmement.
William Cohen avait donc raison, le 10 janvier, quand il a transmis au nouveau président Bush son évaluation à leffet que ´ lIrak ne représente plus une menace militaire pour ses voisins ª. Le nouveau leader de la majorité à la Chambre des Représentants des États-Unis, Tom Daschle, a invoqué le besoin de compromis en parlant du Moyen-Orient. Nous croyons également que, sans compromis, il ny aura aucun progrès sous quelque rapport que ce soit dans le processus de paix au Moyen-Orient. Et cela inclut lIrak.
La pierre angulaire dun tel compromis doit être lacceptation par toutes les parties du principe de dialogue. La deuxième ronde de discussions entre le secrétaire général de lONU et une délégation irakienne constitue un pas important vers un dialogue plus complet avec le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni ont en main les positions présentées en février au secrétaire général, Kofi Annan, par lex-ministre irakien des Affaires étrangères, Al-Sahaf. Un réel dialogue doit samorcer par une réponse du Conseil de sécurité à ces documents qui soit substantielle, et non politique. Cela mettrait en place les conditions pour lexamen de toutes les questions à régler, des prisonniers de guerre aux paiements de compensation et au désarmement.
Sil existe une préoccupation réelle pour le bien-être du peuple irakien, il devrait alors y avoir un sentiment durgence à trouver une façon humaine de sortir du cul-de-sac politique actuel. Que ce ne soit pas la haine mais plutôt lempathie face à une catastrophe humanitaire qui serve de guide aux prochaines étapes.
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